Madame Dubufe, Cecile Woog

Un quartier d'artiste

Avenue de Villiers
L'avenue de Villiers vers 1900

La Plaine Monceau
Naissance d’un quartier à la mode

Dès 1854, les grandes lignes du futur quartier Monceau sont tracées par l’architecte Deschamps sous la direction du préfet Haussmann, qui reprend d’anciens chemins pour créer les trois grands axes, à savoir les actuels boulevard Malesherbes, avenues de Villiers et Wagram. Cependant, le quartier de la Plaine Monceau proprement dit ne s’est vraiment érigé qu'à partir des années 1870, date à laquelle les architectes commencent à rivaliser d’invention pour bâtir hôtels particuliers et maisons d’artistes. Les immeubles de rapport sont réalisés plus tardivement, dans les années 1890-1900. La particularité de la Plaine Monceau est de rassembler des exemples très différents de l’habitat bourgeois du XIXe siècle, depuis le très grand hôtel particulier (type hôtel Gaillard), jusqu'à l’immeuble de rapport en passant par l’atelier d'artistes. On compte donc parmi ses habitants à la fois la grande bourgeoisie financière et industrielle, (comme le régent de la Banque de France, Emile Gaillard, le parfumeur Charles Guerlain ou Charles Haviland, propriétaire de la manufacture du même nom), des magistrats et des médecins, et enfin un grand nombre d'artistes de renom.

 

Sarah Bernardt
Sarah Bernhardt dans le salon de son hôtel particulier à Paris en 1896
© Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine / RMN-GP / Paul Nadar

Des « artistes-bourgeois »

C'est dans ce quartier neuf que se fait en effet la fusion entre artistes et bourgeoisie, déjà amorcée dans le quartier de la Nouvelle Athènes (où habitait Jean-Jacques Henner) quelques décennies auparavant. Parmi les premiers à s'installer, on trouve Ernest Meissonnier et Édouard Detaille, alors très célèbres, qui s’établissent dès 1874 boulevard Malesherbes. En 1876 Sarah Bernhardt s’installe rue Fortuny, juste à côté de l’actuel musée, et Alexandre Dumas fils au 98 avenue de Villiers. La renommée de ces artistes en attire d'autres et très vite la Plaine Monceau devient le quartier incontournable de la scène artistique et culturelle des années 1870-1890. Les hôtels reflètent le degré de célébrité de ses occupants ; autour des grands maîtres qui jouissent de véritables palais (comme celui de Meissonnier), des peintres moins connus se font construire des maisons de taille plus modeste, comme celles de la rue Eugène Flachat. Seuls absents de la Plaine, les peintres dits de « l’avant-garde » ou « plein-airistes », que l’on va plutôt retrouver à quelques encablures de là, aux Batignolles et autour de la place de Clichy.

 

Avenue de Villiers
L'avenue de Villiers vers 1900 © Léon et Lévy / Roger-Viollet

Artistes au salon

Dans ce centre névralgique de la vie mondaine, on trouve non seulement des peintres mais aussi de nombreux écrivains, dont les Dumas, Edmond Rostand, Tristan Bernard et Victorien Sardou, des musiciens comme Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré et Debussy... Tous ces artistes se retrouvent dans les salons à la mode comme celui de madame de Saint-Marceaux, de Juliette Adam ou de la princesse Mathilde, où se mêlent aristocratie, bourgeoisie et personnalités politiques, ou encore celui de la demi-mondaine Valtesse de la Bigne, surnommée « l'union des peintres », dont l’hôtel du 98 boulevard Malesherbes est un comble de luxe.

 

Hotel Gaillard en 1904
L'hôtel Gaillard en 1904

L’atelier d'artiste, lieu de mondanité

Tout ce beau monde a un mode de vie particulier réglé par un calendrier mondain très serré ; car chaque maison a ses « jours » et il est de bon ton de tenir des dîners qui rassemblent les gens à la mode. La visite de l'atelier fait partie des activités mondaines les plus prisées. « C'est le vendredi qui a été adopté par la plupart des artistes pour les réceptions ; ce jour-là, l’avenue de Villiers est curieuse à voir : tout Paris y défile avant d’aller au Bois ; chacun rend visite à son peintre ; dans les maisons du quartier Monceau, il y a un atelier, comme l’eau et le gaz se trouvent dans toutes les constructions modernes. On peut mesurer le rang d’un peintre d'après le nombre de voitures qui stationnent le vendredi devant son hôtel. » (Albert Wolff, La capitale de l’art, 1886).

 

Le salon de conversation de la Princesse Mathilde en 1867 © BNF
Le salon de conversation de la Princesse Mathilde en 1867 © BNF

Henner et la plaine Monceau

D'après ses agendas, Jean-Jacques Henner a été invité plusieurs fois chez Dubufe entre 1878 et 1879. Il a donc connu l’actuelle maison et le jardin d’hiver. Il a rencontré Sarah Bernhardt à la même époque alors qu'elle habitait 35 rue Fortuny c'est-à-dire l’immeuble contigu. On sait qu’il est allé en 1901 chez madame de Saint-Marceaux, qui tenait un salon très prisé au 100 boulevard Malesherbes. Il a très assidûment fréquenté le célèbre salon de Juliette Adam au 190 boulevard Malesherbes, entre 1878 et 1892 et, de 1883 à 1884, le salon de musique de Marie Trélat, professeur de chant et cantatrice, proche de Camille Saint-Saëns. Pour évoquer le meilleur chroniqueur de salon qui soit, à savoir Marcel Proust, il est intéressant de noter que Henner a dîné plusieurs fois chez ses parents – son père était le docteur Adrien Proust –, entre 1886 et 1896, au 9 boulevard Malesherbes. Marcel, qui est né en 1871, y est resté  jusqu'en 1900… Les agendas mentionnent également des dîners chez le journaliste Joseph Reinach avenue Van Dyck.

 

 

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